POUR LE PLAISIR DES YEUX
Qu'est-ce que la photographie minimaliste ?
Lors de ma balade à Mélin, la semaine dernière, j’ai tenté l’un ou l’autre cliché un peu inhabituel… juste pour voir… pour tester, pour m’amuser, pour faire de la photo de paysage autrement. En rentrant, premier regard rapide sur les photos… et je trouve certains clichés sympa bien qu’assez inhabituels par rapport à ce que j’ai déjà fait. Inhabituels de par le cadrage ou la manière de traiter le sujet. Quelque chose de plus artistique peut-être, reflétant moins directement ce que l’on voit, à priori, quand on se balade… et, pourtant, qui est bien présent dans notre champ de vision, juste sous nos yeux.
La réflexion qui a mené à cet article est née des quelques photos ci-dessous.
Qu’est-ce qui m’intéresse ou non dans ces clichés ? Qu’est-ce qui me parle, fait la force ou la pauvreté de ceux-ci ?
J’ai donc cherché un peu sur le net ce qui pouvait expliquer l'intérêt que je portais à certains de ces clichés et je suis tombé sur plusieurs articles parlant de la photographie minimaliste. Un concept que je trouve assez intéressant… suffisamment en tout cas pour vous en dire quelques mots… d’autant qu’il me semble que s’y essayer pourrait aider chacun (et moi le premier), relativement rapidement, mais pas forcément facilement, à transformer de banaux clichés en photographies intéressantes, attirantes, captivantes… voir artistiques ?
Alors, qu’est-ce que la photographie minimaliste ?
Et bien, à ce niveau, pas facile de définir le concept… car il s’agit bien d’un concept. Les définitions sont assez multiples et les délimitations de ce courant artistique né dans les années 50-60 aux Etats-Unis (autour de la peinture mais s’étant étendu par la suite à d’autres arts), sont parfois assez floues.
Alors... pour faire simple… très simple pour commencer… disons qu’il s’agit d’en dire un maximum tout en en montrant un minimum.
En réalité ce courant fait sienne la maxime d'un des grands représentants du Bauhaus (courant artistique issus d’une école allemande du même nom - merci wikipedia), Ludwig Mies van der Rohe : « less is more ». Notons aussi qu’une analyse du contexte historique porterait à croire que le minimalisme se soit développé en réaction à l’extravagance qui allait de pair avec la naissance du pop art.
L’idée est donc de simplifier… simplifier… et encore simplifier… non pas pour tomber dans un cliché qui serait ou deviendrait banal… mais bien pour centrer le regard sur un sujet essentiel sans être perturbé par une multitude de détails pouvant disperser l’attention. Pour arriver à cela, différentes techniques ou façons de faire en jouant sur la composition, les couleurs, les formes, les contrastes, la profondeur de champs, la lumière,... mais n’allons pas trop vite !
Une chose est certaine, en tout cas, dans une photographie minimaliste, l’œil est directement centré sur un sujet et, comme captivé, a difficile à s’en défaire rapidement. L’absence de détail l’amène à rester attaché à ce qu’il voit et à trouver dans le sujet de la photo, le début d’un questionnement, d’une réflexion, d’une envie d’en savoir plus. Contraste étonnant donc entre le fait d’être centré sur le sujet principal et, à la fois, porté vers tout ce qui pourrait l’entourer mais qui est non apparent sur la photo.
Attention donc à ne pas confondre minimalisme et banalité ou pauvreté des éléments représentés… simplifier ne veux pas dire simple… nous sommes ici à un autre niveau… à quelque chose de plus puissant… une ouverture sur le monde… une photo qui, pour chaque spectateur, sera unique de par l’univers personnel auquel elle renvoie chacun d’entre nous différemment. Une photographie minimaliste réussie ne peut donc renoncer ni au message ou à l’histoire véhiculée par l’image ni à l’émotion qui doit pouvoir naître au premier regard… il s’agit donc d’exploiter un sujet banal pour le rendre extraordinaire de par la mise en scène utilisée qui le fera sortir de son contexte ou de son apparente insignifiance.
Attention aussi à ne pas confondre minimalisme et macrophotographie ; le minimalisme, bien que mettant parfois en exergue de manière fort rapprochée un sujet unique, n’omettra jamais de placer celui dans un cadre ouvrant à la réflexion, au questionnement et permettant au spectateur de se sentir dans un espace où il se sent bien, visuellement à l’aise et non contraint.
En résumé, l’idée est donc d’épurer au maximum et de simplifier tout en s’assurant que cela amènera plus d’imagination, plus d’espaces libres et ouverts à celui qui regarde la photo et se trouve captivé par celle-ci.
Tout cela est bien beau me direz-vous, mais concrètement...
Quand et comment puis-je faire de la photo minimaliste ?
Pour le quand, en fait, c’est assez simple !!! Tout le temps ! La photographie minimaliste ne s’applique pas à un domaine de photo particulier. Il peut s’appliquer à n’importe quel domaine. Pas étonnant donc que dans ma démarche photo centrée sur la photo de paysage, je me sois laissé entraîner vers ce concept. Mais on aurait également pu y arriver par de nombreuses autres portes d’entrée… portrait, mode, photographie de rue, de nature morte, d’architecture, tout ou presque pourrait s’y prêter.
Mais attention, ce n’est pas parce que les domaines sont multiples et les possibilités infinies qu’il est facile d’adopter la démarche. Contrairement aux apparences, obtenir des clichés intéressants n’est pas forcément simple et demande un sens poussé de l’esthétique afin de trouver, dans tout ce qui nous entoure, la manière de sublimer tel ou tel élément qui semblerait banal à la plupart des gens à priori. Pas simple... j'ai encore du boulot devant moi à ce niveau :))
Pour le comment, différents chemins peuvent conduire à la photographie minimaliste. L’ensemble des éléments présentés ci-dessus peuvent, évidemment, se combiner pour donner encore plus de puissance à la photographie réalisée.
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Minimiser les éléments de la composition pour ne pas distraire le regard
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Cadrer pour isoler (en coupent ou cadrant), ajouter de l’espace négatif
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Utiliser des formes ou une composition géométrique ou focaliser sur la texture ou des motifs répétitifs
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Détacher le sujet principal autour d’un vaste fond, via la profondeur de champs, le brouillard,...
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Provoquer la réflexion
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Jouer sur les couleurs complémentaires, les contrastes et/ou le noir et blanc
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Recherche l’extraordinaire dans le quotidien en sortant le sujet de sa vision habituelle ou en cherchant un angle de vue original
Au vu de ces différents éléments glânés sur le net, réanalysons maintenant les photos du départ (et quelques autres sur lesquelles je suis retombé en écrivant cet article) afin de voir ce qui fonctionne ou non... de voir si ce qui était proposé tient effectivement de la photographie minimaliste ou non... petit exercice réflexif à ce sujet ;)
Photo 1
Une photo qui fonctionne pas mal à mon sens. Un sujet unique et banal, un champ, qui bénéficie ici d'un cadrage inhabituel permettant de mettre en avant le relief du lieu et qui, personnellement m'amène à vouloir en voir plus... à savoir ce qui se cache derrière le relief, à imaginer le tracteur labourant celui-ci, le promeneur baladant son chien,...
Une géométrie également marquée par les contrastes entre les différentes zones des champs contigus.
Par contre, les couleurs ne sont pas réellement complémentaires même si suffisamment marqués pour donner un contraste relativement intéressant. Le sujet principal ne se détache pas non plus du fond étant donné qu'il emplit totalement la photo...
Photo 2
Ici aussi la photo me semble rencontrer certains critères qui la rendent intéressante. Le regard s'accroche directement au clocher pourtant tellement banal pour un village de campagne. Le fait qu'il soit, ici, coupé par le champ, m'amène à vouloir savoir ce qui se passe dans cette église et dans le village qui, probablement l'entoure. Le sujet est unique et ouvre la réflexion.
La composition est fort géométrique avec deux zones relativement vides et complémentaires entourant le clocher.
Par contre, comme pour l'image précédente, les couleurs ne sont pas réellement complémentaires bien que suffisamment marquées pour donner un contraste intéressant.
Photo 3
Je ne suis pas certain qu'on puisse qualifier cette photo de minimaliste au vu des nombreux détails entourant la ligne d'horizon. Toutefois, le sujet est unique (si on considère le village comme étant le sujet) et son positionnement dans l'image attire directement le regard sur lui. L'espace négatif est bien présent et marqué par le large espace occupé par le ciel, le cadrage étant ici assez audacieux en plaçant le sujet principal dans le 1/4 inférieur de la composition.
Par contre le sujet n'est pas isolé de son environnement et il est difficile de dire s'il se détache dès lors suffisamment bien de la composition. Comme pour les deux premiers clichés, les couleurs sont peu présentes (en nombre), mais offrent un contraste intéresssant bien que ne combinant pas de couleurs complémentaires.
Photo 4
J'ai voulu mettre cette photo dans l'article non pour sa qualité, mais pour son caractère didactique. Pour moi il s'agit ici d'un bon exemple de photographie minimaliste qui glisse dans la banalité et perd dès lors une grande partie de son intérêt. Si techniquement la photo est bien réalisée... elle manque de tout... ou presque !
Pas ou peu d'histoire ou d'intérêt dans la composition, les formes, l'arrangement des couleurs, les sentiments que cela peut évoquer,...
Il y aurait certainement eu moyen d'améliorer la composition en jouant sur la position de la branche et des baies... en rendant le tout plus géométrique... mais je n'avais encore rien lu sur la photo minimaliste... un coup dans l'eau donc... en tout cas pour ce que j'en pense... mais d'autres apprécieront peut-être et se laisseront davantage toucher par ce cliché en imaginant les oiseaux approchant leur repas ou le retour du printemps... les gouts et les couleurs... ;)
Photo 5
Voici encore un cas particulier... pas réellement de sujet ici qui se détache... à moins que ce ne soit l'herbe ou le ciel... et pourtant... Pourtant cette photo me parle tout de même un peu... laissant une place au mystère et obligeant à se poser la question du sujet de la photo, du choix fait par le photographe. Le cadrage laisse tout de même penser que quelque chose devrait se passer derrière cette ligner d'horizon... mais quoi ? Pour le reste, j'en conviens, hormis le caractère géométrique, et le peu de variétés de couleurs présentes sur la photo, il n'y a pas grand chose à dire... mais dire n'est pas tout... que ressentez-vous ?
Le minimalisme c'est aussi se sentir simplement bien à l'intérieur du cadre construit par le photographe, un sentiment d'apaisement ou de plénitude...
A vous de voir et de juger
Photo 6
Cette photo vient d'une autre sortie, à Chassepierre, et me permet de présenter une photo en noir et blanc. Ici aussi, le caractère minimaliste est sans doute discutable étant donné la haie présente au côté de l'arbre et l'arrière plan ne permettant pas clairement d'isoler l'arbre au premier plan. Malgré tout celui-ci se détache assez bien du reste du paysage et attire le regard. La neige apporte à l'ensemble une couleur assez commune et unie au niveau du ciel et du sol. ceci donne un contraste intéressant entre la végétation (au sens large) et le reste de l'image. Le sujet et donc mis en avant et isolé du reste. Par contre, je trouve que le mystère et le questionnement manquent quelque peu et devraient être davantage présent pour amener réellement une plus-value à l'image. Nous n'y sommes donc sans doute pas non plus tout à fait...
De ces quelques analyses, vous aurez compris qu'il n'est ni simple, ni évident, ni naturel de faire des photographies s'inscrivant réellement dans le courant minimaliste et tirant toute la puissance de celui-ci. Chaque photo présentée ici rencontre certains critères énoncés dans l'article. Si cela en rend certaines relativement intéressantes, cela n'en fait toutefois pas des œuvres d'art. Etant davantage conscient des caractéristiques d'une bonne photo minimaliste, je suis toutefois certain qu'avec un peu d'entraînement, chacun peut arriver à rendre ses clichés plus intéressants... plus artistiques... plus proche d'œuvres réellement intrigantes, interpellantes et/ou captivantes.
En me documentant sur le sujet je suis tombé sur nombre de sources et photos intéressantes sur internet. Je vous partage ici quelques liens si vous souhaitez poursuivre votre questionnement à ce niveau. La vidéo de Blaise Fiedler est particulièrement intéressante pour les débutants et de par les multiples exemples repris au sein de celle-ci. Si vous préférez les livres, l'ouvrage de Denis Dubesset paru chez Eyrolle peut constituer une bonne porte d'entrée sur la question. N'hésitez pas non plus à vous rendre sur le site de photographes reconnus à ce niveau tel que Bastien Riu, Christian Richter ou encore Hossein Zare. Outre le fait qu'ils vous montreront que je ne suis pas du tout expert sur le sujet... Je ne doute pas qu'ils pourront, comme pour moi, vous inspirer !
En tout cas, pour ma part, je suis certain qu'au fil du temps je m'essayerai à nouveau à la démarche et que j'en titrerai certainement nombre de clichés, à tout le moins, satisfaisants.
J'espère que ce premier article vous aura plu et vous aura aussi donné l'envie de vous aventurer dans cette pratiques photographique... ne fut-ce que pour entraîner votre regard et votre sens de l'esthétique. Quel que soit le résultat, n'oubliez pas qu'essayer et porter un regard critique sur ce que vous faites c'est d'office progresser et apprendre.
Si vous avez des commentaires ou suggestions à me faire suite à cet article, n'hésitez pas à les poster sur le forum consacré à l'école buissonnière. N'hésitez pas non plus à vous abonner à ma page facebook si vous souhaitez être tenu au courant des prochains articles.
Bonnes photos à vous et à bientôt...